Les Grandes galères Hellénistiques. (400-10 av.J.C.)


Heptere Macedonienne Une heptère Macédonienne du IIe siècle av. J.C. Noter les Oxybèles à l'avant. Le rostre bien visible à la proue est de ceux qui furent exposés au mémorial d'Actium, permettant ainsi aux historiens de définir quels types d'unités s'y trouvaient.

Bien que l'oeil avisé pourra comparer ce navire à une dière (2 rangs de rames), il s'agissait bien d'une "7" de la flotte Macédonienne. Véritable croiseur lourd de l'époque, ce type de navire de choc était fréquent au sein des escadres. Censé être plus rapides grâce à leurs 175 rameurs par bord (350 en tout), ils comptaient sur une phalange composée de Peltastes et hoplites, et sur quatre balistes à courte et moyenne portée. Leur gréement (non représenté ici) comprenait souvent deux mâts gréées carré, pour ajouter un peu de portance par vent moyen et soulager les rameurs. Les rameurs étaient répartis à raison de trois sur l'aviron inférieur et quatre sur le supérieur (plus long). L'heptère possédait deux ponts complets, le premier au-dessus des rameurs et permettant les évolutions des troupes et des armes de jet, et un sous ces mêmes rameurs, destinées aux vivres, outres d'eau, réserves de poix ou de vinaigre, et éventuellement toile de rechange et bois de charpente. Deux détails sont à expliquer: Juste sous la crête de proue se trouve une petite tête de bélier. Loin d'être anodine, cette dernière était en fait le méat d'un tube lançant de la poix sous pression, éventuellement allumée par des archers ou peltastes, préfiguration des siphons lance-flammes byzantins. Par ailleurs, un fort cordage est visible à l'arrière, sur la poupe, destiné à rigidifier cette dernière faite de planches assez légères pour êtres incurvées de la sorte. Les Heptères étaient très présentes en particulier au sein de des escadres Macédoniennes et ont été adoptées après Alexandre par les séleucides comme unités centrales de leurs flottes. Elles ont commencé leur déclin lorsque les Romains ont "pacifié" la méditerranée à partir de 50 av. JC, mais aussi suite à la victoire d'Actium en 31 av. J.C. qui prouva définitivement la primauté des navires légers sur les monstres de l'âge hellénistique. Des tétrères aux dékères.

A bien des égards, la guerre navale en méditerranée est comparable à ce que connurent les Nations du monde au moment de la première guerre mondiale: Une "course aux armements", et la primauté à celui qui construiraient plus de "capital-ships" que ses adversaires. Si la différence pouvait se faire à la vitesse, au blindage et au calibre et à la densité d'artillerie, à l'époque de Pyrrhus d'Épire et de Philippe de Macédoine, elle se faisait à la massivité: Pour des raisons tactiques simples, puisque la tactique d'éperonnage était reine et que dans ce combat de choc, les galères les plus lourdes étaient les plus dévastatrices. De plus, une galère de grande taille était intégralement pontée, ce qui dégageait de la place pour des combattants et des armes de jet. Les termes sont d'ailleurs intéressant, puisque quelle que soit leur catégorie, ces navires au-dessus de la trière sont recensés comme des "kataphraktoi", ce qui veut dire "pontés" comme "lourds" ou "protégés". Il est vrai que des plaques de cuivres ont vraisemblablement été appliquées à la flottaison afin d'éviter de voir la structure toujours légère, de se voir déchirer par un rostre en bronze. Cette envolée qui à pour cause l'augmentation du nombre de rameurs ne concerne au départ que le souci de rendre les trières plus performantes en plaçant deux rameurs au niveau inférieur (aviron plus long), soit au rang des Thalamites. Il n'y a en revanche que de rares bas-reliefs qui nous parlent des galères de cette époque, Rome mis à part. Et on y découvre des "dières" (2 rangs). Faut-il en conclure qu'à l'usage, la maîtrise de trois rangs était malaisée et nécessitait un long entraînement que les urgences de la guerre rendaient impossibles?

A priori donc, le standard est revenu à deux ranges de rames, notamment parce que le compromis entre déclivité des bancs de nage, pontage et largeur du bateau devenaient insolubles avec trois rangs au-delà d'une certain nombre de rameurs par banc. La première, la Tétrère, soit "4", aurait été selon toute vraisemblance d'abord créée par les Syracusains pour succéder à la trière en ayant deux Thalamites au lieu d'un. Les Rhodiens ont probablement introduit la tétrère à deux rangs de rames, qui fut sans doute plus simple à gérer et moins haute, donc moins lourde. Et comme l'idée était manifestement bonne, on aborda la pentère, ou "5", navire standard des grandes flottes méditerranéennes au moins jusqu'à la domination totale de Rome sur son "lac Latin". Les Quinquérèmes Romaines imposèrent leur lois aux Pentères Grecques pour des raisons de technique de combat plus que par tactique. Il semble que des pentères à trois rangs de rames aient inspiré les quinquérèmes Romaines dont les représentations à trois rangs sont les plus courantes.

Les pentères formaient en tout cas le gros des flottes de l'époque Hellénistique, et les trières devenaient des navires se soutien, les pentécontores ou les dières, rares, des navires de liaison, d'enveloppement, ou de harcèlement. Cette composition est due aux tactiques militaires Antiques, décrites avec précision par les auteurs classiques, depuis la guerre du Péloponnèse (Ve siècle), aux affrontements entre les grands empires nés de celui d'Alexandre la grand. Les Lagides, les Séleucides (dans une moindre mesure), les cités Grecques (de la Sicile à l'Asie mineure) et la Macédoine, Carthage, sans oublier Rome, étaient autant de protagonistes de ces batailles de géants. Les trois tactiques en vigueur à l'époque avaient en commun le fait qu'elle se menaient près des côtes, au point que l'image d'Épinal de l'amiral ou du général donnant ses ordres depuis un promontoire de la côte n'est pas aussi invraisemblable, et surtout que les navires étaient allégés au maximum (pas de vivres, mâts et voiles déposés au port). La manoeuvre d'éperonnage ne se menait qu'à la force des bras.

La première de ces tactiques était le Périplous, qui avait pour but d'envelopper la flotte adverse afin de l'attaquer sur les flancs et à revers, tactique épuisante pour les rameurs, le Diekplous, consistant à passer au travers de la flotte ennemie en constituant deux colonnes de galères, effectuée de front, et visant à briser les rames de l'adversaires. Ce dernier, immobilisé, était attaqué par derrière et au milieu par les assaillants, à l'abordage. Cette tactique à eu la préférence durant des siècles, à tel point que l'amiral Allemand Hipper à la tête de ses croiseurs de bataille chargea de manière similaire la flotte adverse à la bataille du Jütland en mai 1916. Enfin, la tactique du "Kuklos", le "cercle défensif" était une concentration de navires en cercle, rostres tournés vers l'extérieur, et visant, un peu comme la masse compacte des phalanges sur terre, à rendre vain toute tentative de percée par l'assaillant. Cette tactique purement défensive fonctionnait avec des fortunes diverses en cas d'infériorité numérique manifeste.

Mais la pentère, en tant que "standard", fut épaulée rapidement par des unités bien plus lourdes: Les hexères, ou "six", heptères ou "sept", octères (8), et éventuellement enères (9), dont presque aucune mention n'est faite, au contraire des dékères (ou Décères), ou "10", dont la configuration reste mystérieuse: Aucune représentation n'existe actuellement à leurs sujet: Nous n'avons que les indices laissés par les auteurs classiques, comme Polybe. Il semble que seules les Décères étaient considérés comme des navires amiraux, les autres n'étant que la partie supérieure d'un "standard". A partir de la Pentère, toutes ces grandes galères étaient intégralement pontées, ce qui allait donner la prééminence au bombardement et à l'abordage. L'une des techniques classiques, représentée à grands frais dans le péplum de la Fox "Cléopâtre", et décrivant Actium, l'une des dernières de ces grandes conflagrations, consistait à bombarder les rames du navire adverse à l'aide d'oxybèles, pétroboles et autres balistes, de manière à ralentir le navire fuyard pour l'aborder. Le reste n'était qu'un combat classique transposé sur le pont de navires, précédé par le tir d'archers et parfois de Peltastes. Les Hoplites de ces grandes unités, les épibates, bien plus nombreux que sur les trières (de 10 à 14), constituaient l'infanterie de marine de l'époque. Moins aisés que leurs corrélégionnaires terrestres, ils voyaient leur équipement payé par l'état, mais n'étaient pas moins motivés: La promotion sociale par l'honneur des combats était toujours un puissant attrait.

Enfin, il existe un indice bien concret qui met définitivement fin à toutes les présomptions d'inventions ou d'exagérations des auteurs: Le mémorial d'Actium. Ce dernier fut édifié à l'entrée du golfe d'Atra (Ambracie), devant le cap Aktio (Actium) au sud de l'Épire, par Octavien pour honorer la victoire qu'il avait remporté en 31 av. J.C. face à la flotte Lagide de Cléopâtre et aux unités de Marc Antoine combinées. Si quelques controverses existent encore quand à l'existence même d'une bataille (propagande Romaine?), il est un fait que les forces d'Octave et de son amiral Agrippa capturèrent la près de 500 navires, et que 10 navires, témoins de leurs classes respectives, présentés dans des cales spéciales doublées d'un sanctuaire dédié à Apollon Actien, disparu, et le second, du "camp d'Octavien", par leurs rostres en bronze dans un monument aujourd'hui recouvert par les broussailles. Ce second monument arbore en effet, à défaut des rostres en question, depuis longtemps récupérés par des habitants locaux et refondus, l'empreinte de ceux-ci dans le soubassement de la terrasse, et conçu en 29 av. J.C. La "dîme", 10 pour cent des unités capturées, y était présente, c'est à dire que 33 à 35 rostres y étaient visibles. La longue inscription relevée au dessus des rostres confirme que l'autel au-dessus était consacré à Mars et Neptune. Que ce monument ait contenu des rostres est confirmé par le seul retrouvé quasi intact, le rostre d'Ahlit.

Retrouvé près de la petite ville Israélienne, il fournissait le premier exemple concret de ce que pouvait être ce type d'arme à cette époque. Long de 2,23 m et pesant 465 Kilos, on l'a d'abord attribué à un "neuf", une des plus grosses unités de Ptolémée V ou VI. Puis en le comparant avec les alvéoles relevées dans le monument d'Actium, il est apparu qu'il était nettement plus petit que le plus petit des rostres exposés. Actuellement, on considère que le Rostre d'Ahlit appartenait à une "4". De facto, ceux du monument appartenaient à des "6" et supérieures, voire bien supérieures. Il semble que la plus grosse alvéole ait contenue un rostre d'1,80 m de large, pour près de 5,50 m ou 6 m de long, pesant de 15 à 20 tonnes. Une Décère aurait été encore trop menue. Il existe donc une preuve potentielle de la présence de "15" et apparentées et d'une "30" dans la flotte combinée. On sait que les souverains Lagides ont affectionné ce type de galère géante (voir la Tesseracontère ou "40") de Ptolémée Philopator. (Voir aussi les "hyper-galères Hellénistiques"). Ce monument en tout cas en dit long sur les dimensions et la masse exceptionnelle de ces navires, qui atteignirent à cette époque le point culminant de leur genre.

Un exemple:

"La dékère de Philippe, qui était le vaisseau amiral, tomba d’une manière extraordinaire à la merci de l’ennemi. Comme une trihémiolie* s’était présentée devant elle, elle lui donna un coup violent au milieu de la coque et resta fixée sous le banc supérieur, le pilote n’ayant pu freiner l’élan de son navire ; avec ce bateau accroché à lui, le navire amiral était en détresse, difficile à manœuvrer dans n’importe quelle direction. C’est alors que deux pentères se jetèrent sur lui, l’endommagèrent des deux côtés, et coulèrent ce navire avec l’équipage qu’il portait, notamment Démocratès, l’amiral de Philippe. Au même moment, Dionysodoros et Deinocratès, deux frères qui étaient les amiraux d’Attale et qui s’étaient jetés l’un sur une heptère ennemie, l’autre sur une octère, connurent dans ce combat des hasards extraordinaires. Deinocratès, s’étant jeté sur une octère, fut lui-même atteint au-dessus de la ligne de flottaison, le navire ennemi ayant une proue surélevée ; mais ayant endommagé le navire ennemi sous la coque, il ne put d’abord se dégager malgré tous ses efforts pour faire marche arrière ; aussi, comme les Macédoniens se battaient vaillamment, il se trouva dans la situation la plus critique. Mais Attale vint le secourir et sépara les deux bateaux accrochés en éperonnant celui de l’ennemi, si bien que Deinocratès se trouva libéré de façon inattendue, que les hommes du vaisseau ennemi se firent tous tuer en se battant vaillamment et qu’Attale captura ce vaisseau où il ne restait plus personne." Polybe, Histoires, XVI, 2, 3-11

*Trihémiolie: ou Tri-hémiolia. Les Hémioliae (terme Grec repris par les Romains) étaient des "demi-galères", ou galères courtes utilisées par les peuples de la mer, et les pirates dans la méditerranée orientale principalement. Il s'agissait de galères à rameurs alternés par aviron. Remarquablement rapides et maniables, ils convenaient pour un assaut d'enveloppement et furent repris à leurs compte par les Romains avec leurs liburnes, complétant les rangs. Il est certain cependant que les Carthaginois furent plus modérés dans cette course bien qu'ayant une puissante flotte de trirèmes et quadrirèmes, comme en témoigne le port de Carthage. Au début de l'Empire, la prééminence de Rome sur toute la méditerranée allait rapidement sceller le sort de ces grands galères. Rares furent les Décères (ou décarèmes) en service, et les quinquérèmes elles-mêmes commencèrent à céder le pas à des unités plus légères, moins chères à construire et entretenir et plus adaptés à la lutte contre la piraterie.