Le navire de Marsala : Une Tétrère Carthaginoise?

Source: Reconstitution de Michael Leek. Cliquez p. agrandir

Ci-dessus une représentation possible de la "quadrirème" Punique retrouvée à Marsala. Elle portait un éperon à bec et était également très rapide, de ce fait. La reconstitution montre également que la poupe se composait de deux parties, dont celle cambrée constituait une "queue" en arc classique mais plus simple que sur les navires Romains et Grecs. La poutre avait probablement été échauffée à la vapeur pour être déformée ainsi.

En 1971 des plongeurs fouillant dans les sables sous-marins à quelques encablures de Marsala, sur la côte ouest de la Sicile, trouvèrent deux épaves. La première, classiquement effondrée sous le poids de ses amphores fut déterminée comme un navire marchand, mais la seconde, plus importante, était de toute évidence un navire long. Il s'agissait en définitive d'une galère militaire antique, la seule épave retrouvée à ce jour!. Qui plus est, celle-ci n'était pas Romaine ( dont les représentations abondait ) mais Carthaginoise: Elle avait été probablement l'acteur d'une bataille mémorable en 241 av. J.C., celle qui opposa la flotte Romaine à la flotte unique aux îles Aegates, mettant fin par une victoire écrasante de l'Urbs à la première guerre Punique. Devenu universellement connu comme le "navire de Marsala", la fameuse galère Carthaginoise allait lever le voile sur bien des interrogations sur la construction navale antique, et sur les "navires longs", protagonistes de tant de batailles qui changèrent le monde. Dirigée par Honor Frost, une équipe exécuta 4 ans de fouilles qui permirent de restaurer une grande partie de la structure de coque.

Les restes du fameux navire servirent à reconstituer sur une base en métal la partie de la coque la mieux conservée, en 1979. Mais hébergée sous un simple hangar à vin du XIXe siècle, l'ensemble eut à souffrir de la corrosion, du vent et de la pluie. A tel point qu'en 1980, on décida comme mesure provisoire de recouvrir le tout d'une bâche en plastique. En 1987, la communauté des archéologues s'insurgea de la dégradation des supports comme des pièces de bois et exigea un hébergement à la hauteur. Avec l'aides des Danois, dont le prof. Ole Crumlin Pedersen, et du centre régional de conservation à Palerme, on conçut une seconde reconstitution. Pedersen avait avec l'institut Danois d'Archéologie Maritime l'expérience de la reconstitution de 5 navires médiévaux retrouvés à Skudelev exposés au musée de Roskilde.

Le navire lui même, reconstitué et restauré une seconde fois, ne changea pas pour l'ensemble, il avait toujours les mêmes caractéristiques, c'est à dire, assemblé en pin et en bois d'acéracées, ( réagissant mal aux traitements chimiques de conservation ), avec une quille droite de 30 mètres ( ce qui en faisait un navire de près de 35 mètres au total, pour 4,80 m de large en incluant les passerelles latérales, et 120 tonnes estimées, chiffres classique pour l'époque ), et la partie arrière, la mieux connue, expose des lignes d'eau assez fines, en "vase", et non pas arrondies comme ont le pensait jusque là, contrairement au pont. Elles témoignent d'un vrai souci hydrodynamique dicté par des siècles d'empirisme. Elles ne doivent donc pas étonner de la part d'un peuple descendant des Phéniciens, constructeurs navals particulièrement novateurs, et qui inspirèrent Grecs puis Romains. On pense également que le navire était malgré ses dimensions de trière, une "quadrirème" ( Tétrère ) bâtie sur le modèle des galères de Rhodes, réputées pour être les plus rapides: L'une d'elle servit de "forceur de blocus" et fut capturée par les Romains, et les Publicains la firent répliquer en 200 exemplaires en un temps record.

Plan trois vues du navire ( reconstitué par M. Leek ) http://www.arch.soton.ac.uk/Prospectus/CMA/HistShip/index.htm

Le navire de Marsala nous apporte d'autres découvertes: Les signes peints relevés sur sa coque témoignent ( en plus du fait que ce navire était bien Punique ) d'une rationalisation pour une production en série: On explique pas autrement la rapidité avec laquelle Romains et Carthaginois pouvaient armer autant de navires militaires. Ensuite, le fait que l'on ait pas retrouvé le classique rostre en bronze, comme celui d'Ahlit ( Côte Israélienne ), de toute évidence ayant survécu à la corrosion, on ne peut que pencher pour la présence d'un éperon en bois, un éperon à bec, dont quelques restes ont survécu, et qui était recouvert de bronze. Ce type d'éperon fut repris tardivement par les Romains avec leurs Liburnes qui défirent les flottes combinées d'Antoine et de Cléopâtre à Actium.

Ce dernier introduit par les Rhodiens et repris par les Romains avait pour conséquence de jouer le même rôle que les étraves modernes, permettant au navire de fendre la houle en deux, et donc de lui donner une excellente vitesse, mais aussi une grande stabilité: Ce n'est pas un hasard si les pétroliers et paquebots modernes reçoivent des "Bulges" d'étrave: Leur présence est due à des recherches très poussées en calculs hydrodynamiques. L'éperon à bec allait quasiment supplanter le classique rostre en bronze, notamment du fait de son emploi généralisé par les Romains, introduisant un changement de tactique: Mettant fin aux charges frontales, le rostre à bec induisait une attaque latérale, évolution majeure du combat naval. Trop fragile, un éperon en bois même renforcé n'aurait pas survécu à une manoeuvre d'éperonnage classique. Son rôle par contre en attaque de flanc était de briser les avirons du navire adverse, le privant de son autonomie, prélude à l'abordage au corbeau. Enfin, le navire de Marsala révèle des traces de produits frais ( fruits et légumes ) au fond de jarres et de coupelles, donnant une idée de la portée "côtière" de ce navire de même que la bonne santé de l'équipage et des rameurs. Ceci apporte une preuve à l'hypothèse selon laquelle le navire de marsala défendait le port. Plus étrange, les traces de cannabis relevées arguent du fait que comme dans la grande tradition du Rhum dans la marine à voile, cette plante était mâchée probablement par les rameurs afin de s'enlever peur ( au combat ) et fatigue. Ces dernier étaient deux par aviron, et les fragments retrouvés laissent à penser qu'il y avait deux séries de 35 tolets par bord, pour 140 au total, et donc 280 rameurs. Avec deux rangs, mais deux rameurs par aviron, la galère préfigurait les futures "Liburnes" Romaines, qui elles, étaient monorèmes, bien plus légères. Bien que plus lourde que la trière, la Tétrère s'est imposée grâce à sa vitesse. Cette dernière était due en partie à son éperon courbé, mais aussi à sa structure probablement très légère. Il y à également quelque chose de troublant: Les représentations qu'on en à faite n'incluent pas de voile ni de mât. C'est un fait que certaines galères antiques n'en possédait aucun, ne comptant que sur ses rameurs. L'exiguïté à bord était telle en effet, que rapporter un ou deux mâts, des voiles et les gréements allant avec ( sans compter d'éventuelles mâts, vergues et voiles de rechange, et les équipages de manoeuvres, rendent cette solution tout simplement inconcevable. Il est très probable que ces navires conçus pour de la "défense côtière", sacrifiant tout à la légèreté, ne s'en embarrassaient pas et que la bataille de Salamine fut menée presque exclusivement par des galères sans voiles. Seules celles qui menaient des expéditions en étaient pourvues.

Toutefois le débat est loin d'être clos: Si la galère Punique à été retrouvée, c'est précisément parce qu'elle était lestée de pierres, mais aussi d'un nombre considérable de jarres et d'amphores. Ces dernières étaient certes en nombre suffisant, mais allant bien au-delà de la nourriture quotidienne de 280 rameurs, d'autant que ce navire était ( selon une autre hypothèse ) dévolu à la défense du port ( La flotte de Carthage et son port circulaire remarquable n'avait pas d'autre utilité ). Une autre hypothèse fait donc état de l'utilisation, confirmée par certains textes, et une iconographie rare, de galères marchandes, des siècles avant leur utilisation par les grandes cités du Moyen-Âge... Les "forceurs de blocus" de Rhodes étaient d'ailleurs utilisés comme "cargos rapides", chargés de vivres périssables.

Une petite dizaine de mètres de coque à peine furent exhumées et mises à jour ( la poupe, qui coulant en premier, fut submergée dans le sable, et donc exhumée en meilleur état que le reste ), qui permirent une reconstitution historique. Depuis les années 70 en effet, aucune autre épave de galère militaire ne fut découverte. Le navire de Marsala est donc l'un des plus précieux témoignage archéologiques actuels, auquel le musée du même nom est dédié.

Voir aussi : http://www.arch.soton.ac.uk/Prospectus/CMA/HistShip/index.htm

 
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